22.9.11

le grand collisionneur de hadrons ( l h c )

   BOMB4RDI3R lE ROMAN CIN3TIQUE 
 anouk guiñé (fatal skin ;)

Bombardier[1], qui n'est pas un livre mais un "artefact", comme le dit son auteur, est une véritable explosion poétique cyberpunk et biopunk, une arme de déconstruction massive du langage et un accélérateur de particules.
Ma lecture de ce roman, qui n'est pas roman, mais synthèse, cristallisation et paradigme de tous les genres littéraires que nous connaissons, a commencé au-dessus des nuages: à 9500 m d'altitude, 967 km/h, et 10210 km à parcourir jusqu'à ma destination. Bombardier et moi avons traversé les cieux et les nuits de mille refuges de Nuagegris (nom donné à la ville de Lima dans le livre) à Paris, via Amsterdam, à bord d'un Boeing 747-400. Une musique arabe du Moyen-Orient, celle que propose KLM à bord de ses avions, a inondé et nourri ma lecture pendant plus de 9 heures. Je ne pouvais imaginer commencer Bombardiersans musique arabe, la bande sonore parfaite pour une histoire qui se base sur les attaques du 11 septembre 2001.
Je ne voulais cesser de voler avant d'avoir terminé la dernière page. Parce qu'une fois que vous entrez dans ce papier, dans ce texte et dans cette machine et mécanique de flux, de fluides et de fragments, vous ne voyez plus le monde, la beauté et la poésie comme avant. Et je mets au défi quiconque de démentir le fait qu'il existe un avant et un après Bombardier dans l'histoire de la littérature latinoaméricaine.
Citant Mircea Eliade, l'écrivain et juriste Kadel Sabir (2011) écrit dans 9/11: Credo quia absurdum. Ground Zero est devenu un Axis mundi, un lieu hiérophanique par excellence où "le sacré se manifeste"; cette irruption du sacré crée un point fixe où gravitent toutes les valeurs. Tout comme l'on pense que le soleil tourne autour de la terre, on pense aujourd'hui que la morale tourne autour de Ground Zero. De la même manière que Bombardier a pour axe Ground Zero, l'histoire du roman, son sens du sacré et ses valeurs sont voués à tourner autour de Bombardier. Les mots millimétriques, chirurgicaux et corrosifs du poète péruvien Czar Gutiérrez, le langage, jamais agressif et d'une grande élégance, le graphisme, les codes, les symboles, les douleurs, les circuits internes - électroniques, mécaniques, chimiques, organiques et humains - et les voies virtuelles sans cesse explorées, le mouvement que donne l'auteur aux machines volantes, aux corps, aux métaux, aux cristaux, au plasma, au mercure, aux jouissances, aux cerveaux, à la lumière, aux sentiments et à la mort, sont incroyables parce qu'inédits et hautement innovateurs. Je dis "mouvement" parce que je considère que Czar Gutiérrez a inauguré l'aire cinétique du roman. Et je dis "électronique" parce que je considère qu'il a aussi inauguré l'aire cibernétique du roman latinoaméricain. Nous sommes face à une écriture qui connaît l'art de paralyser un avion en plein vol et de le faire s'écraser contre l'infini et l'éternité contenus dans la poésie la plus élevée qui fait transpirer de jouissance en jouissance. Nous sommes totalement dans la logique de Roland Barthes quand, dans Le plaisir du texte (1973), il affirme: L'écriture est ceci: la science des jouissances du langage, son kamasutra (de cette science, il n'y a qu'un traité: l'écriture elle-même)... j'irai jusqu'à jouir d'une défiguration de la langue, et l'opinion poussera des hauts cris, parce qu'elle ne veut pas qu'on ‘défigure la nature'. Et pour défigurer le langage comme le fait Czar Gutiérrez, il ne faut pas seulement aimer et souffrir dans tous les sens du terme, mais se mettre aussi en danger constant à travers le langage, sa structure et sa jouissance. Parce qu'il s'agit bien de cela, c'est-à-dire, je le réitère, des jouissances du langage et de jouir d'une défiguration de la langue. Dévore-moi, déforme-moi à ton image, écrit Marguerite Duras dans Hiroshima mon amour, dans un lieu défiguré par la guerre et où la jouissance amoureuse va jusqu'au désir de défiguration des corps. De fait, depuis le debut du premier chapitre, Reset, Czar Gutiérrez nous dit: Quelqu'un s'apprête à défigurer la géométrie du globe, quelqu'un veut effacer les coordonnées, quelqu'un veut, quelqu'un cherche, quelqu'un planifie. Ce que nous ne savons pas encore, c'est que l'auteur s'apprête à défigurer la géométrie du langage et des corps en une sorte de fragmentation qui renvoie à la poésie de Jorge Eduardo Eielson, en particulier à Nuit obscure du corps. De la poussière et vers la poussière, Czar Gutiérrez opère ces défigurations en construisant une nouvelle architecture du roman et des mécanismes d'écriture, et inaugure ainsi une nouvelle relation entre les communautés structurelles qui connectent l'écrit fait de "lettres" et l'écrit fait d'"images", comme le propose la textique en voulant établir une théorie unificatrice des structures de l'écrit. En outre, l'oeuvre de Czar Gutiérrez appartient aux arts plastiques: elle éveille nos sens à partir d'une dimension tactile, visuelle et musicale, au point d'inspirer des artistes tels que Tito Dominguez (frontman du couple électronique Jardín Solar) qui travaille depuis les arts visuels et la musique électronique: (2009, Sophie Canal (écrivaine) et Gabriel Gargurevich (musicien) qui ont composé une chanson produite par Jonni Chiappe: (2010), ou Susana Bouroncle qui a consacré à l'auteur une exposition de peinture, installations et muraux (2011), sans compter les hommages des électriciens d'Arequipa, Delay Tambor (http://www.myspace.com/delaytambor) ou du groupe  Plan Quinquennal de Buenos Aires, parmi de multiples remix. Gutiérrez a transformé les ruines (du 11S) en un atelier d'écriture et a fait de son livre un pèlerinage littéraire qui l'a converti en un produit de son propre roman qu'il a transformé sur Internet, en art vidéo, en lecture high-tech et finalement, en un acte de foi littéraire qui est seulement parallèle à celui de Joyce dans "Work in progress" et de Julian Rios dans "Larva": comme a très justement écrit Julio Ortega (2011) dansImaginaire 9-11. L'esthétique plastique de Bombardier est une expérience sensuelle - souvent réussie par l'humour - où chaque page et chaque phrase, même la plus irrévérentieuse, se révèle être fascinante. C'est un texte qui, sans aucun doute, transforme notre relation à l'écrit, à la lecture, aux genres littéraires, au livre en tant qu'objet, à l'écriture informatique, à la poésie et à la prose. En effet, je lisBombardier comme j'écoute la musique flottante et célestiale de Philipp Glass. En tant qu'oeuvre fondamentalement musicale, ce roman nous fait pénétrer un minimalisme et des structures répétitives dignes de compositions telles que Dance 8. Glass est le maître des circuits électroniques qui ont nourri le rock progressif, genre qui a toujours alimenté l'auteur deBombardier en tant qu' ex DJ. Dans sa "boîte noire", il écrit qu'il rythme son roman avec le répertoire populaire, acoustique, retro, pop, punk, postpunk, new wave, acid, psychodélia, emo, house, indie, jungle, latino, lo-fi, dance, noise, singer, trance, trip-hop... Et quand je lis: Le poing d'acier martelle et martelle et martelle le sable jusqu'a ce que le désert saigne en noir...j'ai tout le temps pour te mitrailler et voir ton visage détruit, 48 Scuds viennent d'être lâchés avec tambours et cymballes et viennent de ne pas être interceptés... délicieuse est l'odeur du Verbe, délicieuse est l'odeur de l'Ebola, attention aux Scuds, attention aux satellites, attention à Astra et Eutelsat, la mort n'existe plus si tu me regardes dans les yeux, mon amour, le poing martelle l'acier et les rossignols de la guerre chantent: hymne aérien / hymne a-é-é-é-rien. je sens l'adrénaline futurepop et synthpop que transmet le groupe Apoptygma Berzek (APOP): On peut dire que Bombardier est un grand hymne à l'Electronic Body Music (EBM). Il se trouve aussi que David Bowie, l'un des personnages de ce roman, est un grand admirateur de Glass depuis sa performance au Royal College of Art à Londres en 1970. Bowie compose l'oeuvre minimaliste et abstraite Low, élogiée par Glass en 1992. Quatre ans plus tard, ils enregistrent ensemble Symphony No. 4 ‘Heroes' dans 26 Mixes for Cash (Aphex Twin). Czar Gutiérrezcélèbre la version originale de Heroes jusqu'au point de nous offrir un extrait de sa partition sacrée au milieu du livre et de poétiser magistralement des oeuvres non moins magistrales telles que Neuköln:
A présent le saxo de b0W1e commence à sortir telle une main solitaire d'une gare ferroviaire couverte de nuages de strontium, le saxo se déploie dans des espaces d'orphelinage et de vide où il ne finit jamais de tomber, le saxo rebondit et se blesse et s'effondre encore pour finalement naufrager dans une mer de spirales et de hurlements exquis et de solitudes qui ne peuvent qu'esquisser le chemin d'un homme se dirigeant vers la poussière sous le regard attentif des étoiles en forme de chanson qui meurt douce et violente et subjugante et brutale, rip. Par sa complexité créative, Czar Gutiérrez, héritier de Glass, de Bowie et de Eielson, appartient, comme eux, aux innovateurs et aux transgresseurs qui marquent l'histoire.

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